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Introduction.

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On comprendra en lisant le titre de ce bref article que l’argumentation présentée ici amène une réponse négative à cette question. La question est cependant importante et elle doit être posée en toute lucidité dans la mesure où les pratiques et les valeurs du renouveau charismatique sont aujourd’hui données en exemple par le pape et par les évêques et que ce simple fait suscite parmi les catholiques malaise et incompréhension. Ces pratiques et valeurs sont étroitement liées aux formations psycho-spirituelles visant une réforme en profondeur de la psychologie humaine pour la mettre au service de la vie spirituelle et de la docilité à l’esprit-saint. L’intention est louable, mais la réalisation catastrophique. Allons plus loin.

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Il est effectivement de la tradition de l’Eglise de proposer des exercices spirituels pour approfondir la vocation propre, les choix et les moyens à mettre en place dans une vie personnelle. Mais, pour cela, l’Eglise propose d’approfondir la relation avec le Christ dans la lumière de la voie, en relation avec l’activité morale. Classiquement, elle ne s’occupait pas ou peu de psychologie ; non que le sujet ne soit pas important, on peut même admettre que la psychologie humaine interfère avec les modalités d’exercice de la vie chrétienne, mais ce n’est pas l’essentiel. Par exemple, le fait d’être un peu apathique ou au contraire, irascible, peut gêner l’exercice normal de la vie morale et spirituelle et donc, requérir une aide psychologique pour retrouver un comportement plus normal ; mais cela reste généralement secondaire. Par ailleurs, s’il faut effectivement convoquer la psychologie pour faciliter la vie morale et spirituelle de quelqu’un, encore faut-il que cette psychologie soit réaliste et qu’elle permette d’évacuer un mal-être effectif, mais qu’elle n’invente pas de pseudo-mécanismes psychiques, des faux-souvenirs, etc. En d’autres termes, seule une psychologie qui respecte la personne humaine, son autonomie, sa responsabilité peut être utile à la vie spirituelle. Faire une unité entre le psychique et le spirituel dans l’ordre de l’exercice de l’activité humaine est un véritable but, à condition que la méthode « psychologique » utilisée ne ruine pas d’emblée cette unité et ne referme pas l’individu sur lui-même ; ce qui se passe dans les méthodes dites psycho-spirituelles.

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Alors, que se passe-t-il dans le psycho-spirituel ?

Nous le savons : l’individu est renvoyé aux tous premiers moments de son enfance, voire de sa conception et de sa vie intra-utérine (ce qui, étant impossible, est un grossier mensonge). A partir de là, ce sont ses relations avec ses parents qui sont passées au crible de souvenirs plus ou moins fiables et une dramatisation insensée de détails, des moindres gestes, paroles ou omissions supposées des parents conduit à jeter le doute sur les parents et à couper la relation familiale pour libérer l’individu d’influences supposées néfastes depuis l’enfance. J’écris « l’individu » parce que la personne n’est plus vraiment là, la manipulation mentale de cette pseudo psychologie consiste justement à déstructurer la personne en la coupant de toutes ses relations pour en faire un pion au service d’un système au mépris de sa vie spirituelle. Dans ce cas, pourquoi y a-t-il un lien organique entre les méthodes psycho-spirituelles et le renouveau charismatique ? C’est sans doute à cause de l’obsession folle et maladive des charismatiques pour la « guérison ». En fait, la raison d’être de ce montage de méthode psycho-spirituelle est que, pour être sauvé, nous devons, non pas lire la parole de Dieu ou vivre les sacrements, mais nous devons absolument « guérir », notamment psychologiquement afin d’acquérir une sorte de perfection spirituelle. La guérison est la finalité recherchée simultanément par les méthodes psycho-spirituelles et par le renouveau charismatique ; ainsi le psycho-spirituel devient-il l’instrument nécessaire, bien que fabriqué de toutes pièces, du renouveau charismatique. En même temps, cela démontre avec évidence que le renouveau charismatique place de façon pour le moins ambivalente la guérison comme but recherché par la vie chrétienne, presque plus que comme moyen. Cette finalité est centrée sur l’individu et semble remplacer la contemplation de Dieu et la charité ; s’il en est ainsi, alors le renouveau charismatique n’est plus chrétien, c’est une sorte de néo-catharisme.

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Quels sont les autres signes qui jettent le doute sur le caractère catholique des charismatiques ?

  • Le caractère à la fois ambivalent et simplificateur de la « prophétie » et du « don des langues » chez les charismatiques. De quoi s’agit-il vraiment ? La prophétie est censée s’adresser à telle ou telle personne dans une assemblée, cette personne est supposée comprendre alors qu’un message lui est délivré de la part de Dieu. Que fait-on vraiment des médiations dans ce cas, le prophète est-il vraiment médiateur ? Ou la subjectivité ne risque-t-elle pas encore de s’enfermer dans une fausse interprétation. Quant au supposé don des langues, le galimatias inintelligible qu’on entend dans certaines séances de prière charismatique montrerait qu’il s’agit d’une supercherie, d’une invention.

 

  • La négation de l’ordre naturel des chose (d’où la négation de la science, de la raison et de l’importance de la vie intellectuelle). Pourtant, comme l’affirme avec force Malebranche, Dieu crée de l’ordre. Nous préfèrerions d’ailleurs dire que, dans le point de vue d’une théologie naturelle, Dieu crée des réalités existantes dans un ordre voulu par lui. La négation de l’ordre est générale chez les charismatiques, notamment dans leur manière de vivre, de prier, de célébrer. Et pourtant l’ordre naturel, l’ordre moral, l’ordre social sont des réalités nécessaires dans une perspective chrétienne. La négation de l’ordre naturel, moral, social est encore la négation d’une médiation, comme si le surnaturel s’imposait de lui-même, miraculeusement et sans avoir besoin d’intermédiaires, comme si la grâce remplaçait la nature. L’irruption permanente du miracle est souvent invoquée dans le renouveau charismatique. Il y a là un problème théologique qui dépasse les compétences du philosophe.

 

  • L’insistance philosophique et théologique sur la place du corps dont on pense redécouvrir toute l’importance pour la vie de foi. Mais de quoi s’agit-il ? La place du corps pour les charismatiques n’est pas toujours vue dans le sens d’un équilibre entre le corps et l’esprit mais dans le sens d’une expression outrancière des émotions à travers des gesticulations et des modes de fonctionnement dépourvus de raisons d’être. L’obsession sur le corps et sur la sexualité (le christianisme vu comme la religion du corps) est un point préoccupant de la doctrine charismatique.

 

  • La confusion entre conséquences psychologiques et péché. A force d’envisager tout l’être humain dans un point de vue psychologique et dans un pessimisme radical consistant à regarder chaque être humain comme ‘blessé’ et agissant en fonction de ses ‘blessures’, le péché est évacué au profit de déviations psychologiques. Les conséquences de cette manière de voir frisent l’hérésie : le péché devient un mal psychique à soigner d’urgence par des prétendues thérapies, les déviances psychologiques deviennent un péché. Confusion complète.

 

  • La remise en cause de certains aspects du catéchisme. Le commandement de Dieu demandant d’honorer ses parents, donc de les respecter, de les visiter, de s’en occuper concrètement et charitablement, est quelque chose qui ne se discute pas, de même que les autres commandements ne se discutent pas non plus. Quiconque est en dehors de cette perspective, ne peut plus se dire catholique. Les commandements de Dieu et de l’Eglise sont une base, un socle commun, il conviendrait à ce niveau d’exercer un discernement ecclésial sur les pratiques des fidèles du renouveau charismatique à l’égard de leurs familles. Provoquer volontairement une rupture familiale que l’on veut définitive, sans retour, c’est se situer délibérément en dehors du message et de la vie de l’Eglise.

 

  • Le problème des sacrements. A priori, quand on regarde la foi et la prière des charismatiques dans leurs assemblées, on a l’impression que ces personnes profondément croyantes adhèrent dans les moindres détails à la pratique sacramentelle de l’Eglise catholique (confession, eucharistie…). En réalité, il faut tenir compte du fait que n’est vraiment ‘charismatique’ que celui ou celle qui a reçu le ‘baptême dans l’esprit’ ; lequel baptême suppose une manifestation extraordinaire du St-Esprit. Le St-Père affirme l’avoir reçu de même que le P. Cantalamessa, mais comment vérifier ce qui demeure une manifestation très subjective, qui pourrait cependant revêtir une certaine authenticité du côté de la démarche de conversion de mœurs. Certains fidèles vivent de fait un moment de conversion authentique qui inaugure une nouvelle période de leur vie, une nouvelle manière de vivre. Mais cela a toujours existé : on peut parler de conversion, de motion de l’Esprit Saint, pourquoi vouloir parler de baptême dans l’esprit ? Par contre, lorsque les personnes vivent une vie très désordonnée, que penser de la valeur de ce second ‘baptême’ ? Enfin, théologiquement, il y a 7 sacrements, il n’y en n’a pas 6 ou 8. La théologie de l’Eglise catholique peut-elle varier sur ce point.

 

  • Le problème de la hiérarchie et de la communion ecclésiale. De nombreux fidèles charismatiques ont un certain dédain vis-à-vis des chrétiens ‘normaux’ et ne vivent qu’entre eux. C’est une entorse à la charité fraternelle, c’est le moins qu’on puisse dire ; parfois ces ‘parfaits’ coupent les relations avec les membres de leurs familles qui ne veulent pas entendre parler de renouveau charismatique, sous prétexte qu’alors ces derniers seraient ‘toxiques’. Un peu facile et peu honnête, on ne peut pas dire que ces manières de vivre, lorsqu’elles existent, soient un modèle de communion ecclésiale. Par ailleurs, souvent les charismatiques ont du mal à passer par l’autorité locale (le curé, l’évêque) et se réclament surtout de leurs organisations ‘communautaires’ (la communauté de l’Emmanuel, celle du Chemin-neuf), certes reconnues par l’Eglise, et de l’ICCRS, l’organisation charismatique internationale dont le siège est à Rome.

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Conclusion

On le voit, les failles sont nombreuses et graves. Certes, on nous dira que certains fidèles charismatiques sont pieux, qu’ils prient, qu’ils sont généreux, qu’ils apportent beaucoup à leurs Eglises locales, etc. Certes, tout cela peut exister, nous n’avons pas la prétention de diaboliser tous les fidèles charismatiques. Par contre la brève liste de failles que nous venons de découvrir souligne un danger et une gravité extrême. Elle souligne que, dans la pensée et la pratique, des charismatiques se mettent délibérément en dehors de la tradition ecclésiale. D’un point de vue philosophique, une religion ne peut tenir que s’il y a une certaine unité de pensée et de pratique dans le rapport au transcendant ; si la pensée doctrinale et les pratiques changent dans un groupe ou une composante d’une religion, au bout d’un moment, on obtient une nouvelle religion, ce n’est plus la même chose. Le défi des années à venir sera de savoir si l’ensemble d’ailleurs hétérogène et confus que l’on appelle renouveau charismatique voudra par la force s’ériger en nouvelle religion, ce qui conduirait à un schisme explicite. Pour les chrétiens plus classiques, il faut réaffirmer que dans la tradition, nous disposons de tous les éléments pour vivre la vie chrétienne. Pas besoin d’inventer du nouveau, cela ne sert à rien, sinon à désorienter les consciences et à créer du désordre. Les sessions en tous genre autour de la psychologie et de la spiritualité, telles que pratiquées par le renouveau charismatique n’ont pas lieu d’être. Par contre, lorsqu’un chrétien a une authentique recherche spirituelle, il faut rappeler l’importance préalable de ce dont on ne peut pas se passer : la morale chrétienne, la prière et la parole de Dieu, les sacrements, mais aussi et dans le concret de la vie, le devoir d’Etat. Il est très oublié, le devoir d’Etat. Si un père ou une mère de famille veut passer une heure et demie le soir à faire oraison et à chanter les vêpres, à l’heure où il ou elle rentre du travail et à où les enfants rentrent de l’école, en réalité, ce n’est pas bien et ce n’est pas un modèle : son devoir d’Etat et sa conscience lui prescrivent de façon précise de terminer dans le calme le travail quotidien et de s’occuper des besoins de sa famille. Si ce n’est pas ce que la personne désire, dans ce cas, il vaut peut-être mieux être religieux ou religieuse ; mais, à l’inverse de ce que prétendent certaines communautés charismatiques, on ne peut pas être les deux à la fois, une mère de famille attentive et une sorte de religieuse chantant l’office au chœur, ce n’est pas compatible. Cette affirmation relève du simple bon sens. Le sens moral, le sens social, le devoir d’Etat sont des clés nécessaires de la vie chrétienne.

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Les grands philosophes, théologiens et spirituels du 17e siècle et du début du 18e, par exemple, sont une source inépuisable de recherche et de vie spirituelle. Il suffit de citer Bérulle, Olier, St François de Sales, St JB de La Salle, même Bossuet et Fénelon, et sur un autre plan, Malebranche. L’enseignement du magistère de l’Eglise, de Pie IX, Léon XIII, St Pie X, jusqu’à Jean-Paul II et Benoit XVI est aussi une source de renouvellement spirituel.

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