Publié le 25/11/2018 à 08:53
1000 personnes à Carmaux pour écouter un prêtre aux pratiques controversées
La ferveur des adeptes du père Manjackal est indéniable./ Photo DDM, M-P. V.
Prêtre phare du Renouveau charismatique, James Manjackal mène jusqu’à ce soir sa 3e session d’évangélisation, en quelques années, à Carmaux. Ses fidèles et Infos sectes ont deux lectures radicalement différentes de son discours.
Le père James Manjackal devrait être remboursé par la sécurité sociale. Enfin, si l’on en croit ses adeptes venus de toute la France pour suivre son «enseignement» pendant trois jours à Carmaux. Perspective de guérison physique et/ou spirituelle, voilà les deux «promesses» qui draineraient de plus en plus de monde vers le mouvement charismatique dont le père Manjackal est l’une des incarnations dans le monde entier depuis plus de quarante ans.
«Alléluia, je suis guérie !»
«Il m’est arrivé un événement grave à 36-37 ans», commence Patricia, venue de Dordogne. «Moi, j’étais atteinte depuis 7 ans d’une fibromyalgie sévère avec une arthropathie œdémateuse», poursuit Mariane, dont le sourire lumineux ne laisse deviner aucune souffrance. Et pour cause. «Une amie qui suit le père Manjackal depuis 2002 m’a dit en 2016, tu devrais venir à sa retraite spirituelle à Carmaux. Tu seras guérie. Je me suis inscrite en pensant rester qu’un jour sur les trois. Et j’ai été guérie dès le premier jour, pendant la messe, à l’exposition du Saint Sacrement. Le père Manjackal nous a dit de fermer les yeux, de prier, et de poser les mains sur l’endroit où on avait mal. J’ai mis ma main sur ma cuisse droite qui m’empêchait de marcher. Et puis le père a dit, Sylvie, tu es guérie. Marguerite, tu es guérie… J’ai commencé à pleurer. On m’a dit plus tard que c’était des larmes de délivrance. Et juste après, il a dit Mariane, tu es guérie. D’un seul coup, j’ai senti quelque chose dans ma cuisse. Ma main était brûlante. Je me suis mise à genoux et j’ai dit : Allélouia, je suis guérie ! J’étais venue avec une canne et je suis repartie sans. Amen ! (…). C’est un miracle. Dimanche soir, il y aura d’autres témoignages comme le mien.» François, qui dit avoir été «guéri plusieurs fois», s’approche pour modérer l’enthousiasme de sa coreligionnaire. «Ce ne sont pas des miracles (1), mais des grâces du ciel !»
«Pour moi, c’est un miracle», rétorque aussitôt Mariane. En confiance, d’autres adeptes évoquent d’autres guérisons attribuées au père Manjackal : de scléroses en plaques, de Parkinson, de cancers, de maladies orphelines…
De quoi étonner les plus cartésiens. Mariane tempère : «Mais le père nous dit de ne pas arrêter notre traitement, même si on est guéri. Il n’y a que le médecin qui peut nous dire d’arrêter. Moi, je prenais 22 cachets par jour, plus de la morphine. J’ai mis 2 ans à me sevrer.»
14 heures, vendredi ! La pause repas est terminée. Le père Manjackal revient dans la salle François-Mitterrand. Poussé sur son fauteuil roulant, il s’arrête devant des malades au premier rang. D’autres s’approchent et se mettent à genoux avec piété, attendant que le prêtre les bénisse. Puis, il se lève et monte les marches jusqu’à la scène d’où il va diriger les «chants de louanges».
«La parole de Dieu par la voix du père Manjackal»
«Ils ouvrent le cœur pour écouter la parole de Dieu par la voix du père Manjackal», traduit une fidèle.
Maryvonne, qui s’est mise subitement à parler anglais couramment après avoir prié (et s’occupe accessoirement de collecter les frais d’inscription pour le compte de l’association qui organise l’événement), prend soin de préciser : «Son enseignement colle à ce que dit la Bible et au catéchisme de l’Église catholique.» C’est sans doute pour cela que Mgr Legrez (2) a accepté de célébrer la messe en lien avec le prêtre indien, hier matin à Carmaux.
Son prédécesseur l’aurait-il fait ? Pas certain. En 2007, Mgr Carré avait signé une note doctrinale considérant que la guérison des racines familiales par l’eucharistie était, «du point de vue scientifique de la psychologie, à très haut risque». Or, cette guérison de l’arbre généalogique est largement prônée par James Manjackal, par exemple pour guérir l’homosexualité.
«Dans l’Évangile, l’homosexualité, c’est un pêché», assure d’ailleurs une fidèle. Dans quel évangile c’est écrit en revanche, elle n’en sait rien. Pour elle, l’essentiel, c’est d’amener de nouveaux fidèles à l’Eglise.
«Beaucoup arrivent chez nous par curiosité, parce qu’ils ont des problèmes, mais avec une toute petite foi. Et ils repartent transformés. C’est là qu’on parle de conversion», explique Jocelyne. «C’est ce qu’on appelle les guérisons spirituelles», poursuit Mariane. D’une certaine manière, c’est ce qu’a connu Patricia qui a commencé à prier quand son mari a eu un cancer. «Mais à l’église, on ne parle pas tellement de l’esprit saint. Ce n‘est qu’avec le père Manjackal que j’ai commencé à ressentir la force de l’esprit saint.»
Pour autant, Patricia est lucide. «Chez nous en Dordogne, le mouvement charismatique ne prend pas tellement. Chanter, prier, tomber à l’imposition des mains (3), ça ne plaît pas à tout le monde. Il y en a qui n’aiment pas du tout, même dans le catholicisme.»
Alors vous imaginez chez les athées, ou tout simplement les laïcs qui s’inquiètent des dérives sectaires.
Simone, porte-parole d’Infos sectes Midi-Pyrénées, s’interroge surtout sur la «caution morale apportée par l’église au sens large à ces pratiques de pseudo-guérison». Et de conclure : «Le père Manjackal est-il médecin ? À ma connaissance, non !»
(1) En février 2018, l’Eglise catholique n’avait reconnu que 70 miracles dans le monde, exclusivement pour des guérisons inexpliquées de maladies incurables.
(2) Sollicité par le biais du service de communication du diocèse d’Albi pour expliquer les raisons de sa présence à Carmaux, Mgr Legrez ne nous a pas rappelé.
(2) Les adeptes appellent cet état de transe dans lequel ils disent avoir un sentiment de paix, « le repos de l’esprit ».
3 questions à Patrick Morin, Collectif CCMM des victimes et familles de victimes de l’emprise psycho spirituelle
Pourquoi dénoncez-vous les agissements du père Manjackal ?
Je suis sensibilisé à cela parce que j’ai des personnes dans mon entourage qui sont concernées. Personnellement, j’ai été élevé dans le catholicisme. Des personnes de mon entourage se sont rapprochées du mouvement des Béatitudes. Elles faisaient des retraites spirituelles et revenaient avec des idées bizarres. Dans ces retraites, il y est prôné des méthodes de guérisons intérieures.
Quels problèmes soulèvent les méthodes de ce prêtre ?
Il a notamment une lecture radicale des textes sacrés. Il évoque aussi la guérison des arbres généalogiques comme quoi aujourd’hui nous serions comptables des erreurs de nos ancêtres. Il a également des propos problématiques sur la question de l’homéopathie, du yoga et de l’homosexualité.
Quels sont ces propos ?
Il défend l’idée, dans des discours en libre lecture sur son site, que l’homéopathie ne sert à rien, qu’il faut même cesser ses traitements, que cela empêche une bonne pratique religieuse. Même chose pour le yoga. Concernant l’homosexualité, il parle de thérapies de conversion.
Le chiffre : 27
euros > Frais d’inscription à la retraite de 3 jours. Avec 1 000 personnes, cela donne un chiffre d’affaires de 27 000 euros (sachant que l’entrée est gratuite pour les prêtres, diacres, religieux et religieuses), plus les bénéfices du merchandising (vente de livres, chapelets, café…). La location de la salle a coûté quant à elle 3 300 € à «Fontaine d’eau vive», l’association catholique organisatrice de la retraite, soit 3 000 € plus 300 € de charges (eau, électricité). Bénéfice minimal de la retraite donc, 24 000 €.
Propos recueillis par A. M.