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Le ciel était bleu, mais Toinou ne le voyait pas tant il se dépêchait pour aller chez son médecin.

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– Bonjour Docteur.

– Bonjour Toinou. Qu’est-ce qu’il t’arrive ?

– Je suis blessé…

– Blessé ? Comment ? Que t’est-il arrivé ?

– Je ne sais pas.

– Si tu ne sais pas, pourquoi viens-tu me voir ?

– Parce que je ne sais pas.

– Je ne comprends rien, explique-toi.

– Voilà, vous savez que je rends service à la paroisse et que ma femme y fait le catéchisme. En allant à la messe, nous avons rencontré une dame qui revenait d’une session de « relecture de vie », ou quelque chose comme ça et qui distribuait des publicités. On n’avait jamais entendu ça. Elle parlait de blessures que nous ne connaissions pas et que seul Dieu pouvait guérir. Inquiets, nous avons voulu savoir si c’était notre cas. Nous nous sommes inscrits à plusieurs avec la dame du notaire, les filles de l’institutrice catho, et le chef des pompier. Nous avons tous reçu un questionnaire qui nous a surpris. On nous demandait  de répondre à des questions sur « la vie utérine » notre « conception », sur notre père, notre mère, notre enfance, et puis sur notre couple. Des questions intimes, qu’on ne s’était jamais posé ma femme et moi. C’était pas beau, les questions sur nos parents. Nous ne voulions pas répondre mais je sais pas pourquoi,  nous l’avons fait. Je pense que les autres aussi l’ont fait puisque c’est obligatoire mais nous n’avons pas osé en parler avec eux et eux ne nous ont rien dit.

– Et alors Toinou, vous y êtes allés ?

– Et oui ! Nous y étions tous. Je ne sais pas comment vous dire, ça nous a chambardés. Depuis ma femme est à la maison, elle a peur et elle pleure et veut plus sortir. Je viens aussi vous voir pour elle.

– Qu’est-ce qui vous a chambardés ?

– On nous a fait « surgir des blessures » qu’ils disent, à ce qu’il paraît que nous savions pas. Elles viennent de nos parents, aussi des morts. Ils les connaissaient aussi par des « paroles de connaissance », j’ai bien retenu le nom parce que ça me rappelait celle qu’on appelait la sorcière qui est morte l’an passé. Elle parlait pareil. Nous avons eu peur. Vous savez, nous aimons beaucoup nos parents et eux aussi nous aiment. C’était affreux. En revenant, on est pas allé les voir, on avait honte des salissures qu’on avait entendu. Je suis allé prier au cimetière, sur la tombe de la famille pour leur demander pardon de ce que j’avais entendu d’eux et pour leur dire que je le croyais pas. Et c’est là que j’ai décidé de venir vous voir.

– Et les autres, Toinou, qu’ont-ils fait ?

– Le chef des pompiers est parti le deuxième jour, il était pas content. Il a réussi à nous dire sans se faire remarquer qu’on était chez des fous et qu’il fallait partir. Nous avons pas osé et nous sommes restés. Une des filles de l’institutrice pleurait comme une fontaine, l’autre n’a pas dit un mot, et la notairesse était contente comme je ne l’avais jamais vue. Et puis les autres gens, je les connaissais pas. C’était dur, il restait deux jours. On nous a fait des prières de « délivrance » que j’ai jamais entendues… Et puis ma femme et moi, on s’est demandé de quoi on devait être délivré ?… On n’est pas prisonnier, on vit normalement, on travaille, nos enfants se portent bien, on est heureux en famille. Sauf que depuis on est malheureux. Chaque fois qu’on verra nos parents, on va penser à ce qu’on nous a dit sur eux, que j’ose même pas vous répéter.

– Et tu as payé combien pour ça ?

– A peu près mille Euros pour nous deux. C’est des sous que j’avais économisés pour faire un petit voyage avec l’amicale du village.

– Tu en as parlé au curé ?

– J’ai pas osé parce que c’est dans son église que la dame nous a donné les publicités.

– Tu t’es fait rouler ! Je connais ces prétendues retraites. J’ai déjà reçu plusieurs  personnes délabrées qui en revenaient. Dis-toi que tu t’en sors bien. J’en ai envoyé d’autres chez le psy. Tout ça c’est de l’invention qui rapporte des sous à des charlatans. Ta femme et toi êtes en parfaite santé. Oubliez ces journées de fous, allez voir vos parents tranquillement, rien n’est vrai de ce qu’on vous a raconté sur eux, d’ailleurs vous le savez. Occupez vous de vos enfants  et continuez votre vie. C’est le meilleur remède à ce poison. D’ailleurs, je passerai la voir. Et j’irai voir aussi le curé.

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Toinou en sortant, s’aperçu que le ciel était bleu. Une belle journée en perspective. Il respira profondément ce bon air venu des collines. Il était heureux. En passant devant l’Amicale du village, il entra et s’inscrivit avec sa femme pour le prochain voyage. En Corse. Il allait le lui dire, ça lui plairait. En glissant la main dans sa poche, il toucha son chapelet, il se dit que bientôt, comme chaque année, ils iraient tous les deux  avec le pélé diocésain à Lourdes. Puis, d’un pas assuré, il rentra chez lui…  

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