La guérison intérieure

 

 

Les sessions de guérison intérieure se sont multipliées dans l’Eglise catholique, sous des appellations diverses: libération intérieure, restauration intérieure, évangélisation des profondeurs, christothérapie, agapèthérapie, agapè, etc. Ce phénomène est totalement nouveau. Il semble donc intéressant de chercher comment toutes ses influences ont pu s’amalgamer.

Pour cela, il faut commencer par s’interroger sur la guérison spirituelle, dont la guérison intérieure est en quelque sorte une sous-catégorie.
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La guérison spirituelle

La guérison spirituelle repose sur une anthropologie. Il existe un état naturel de bien-être (nouvelle forme du paradis?). Nous sommes issus de l’Univers et nous faisons partie de l’Univers. Il y a au fond de tout être une énergie primordiale, sacrée. Chacun peut découvrir le lien profond qu’il a avec la force cosmique, avec l’énergie sacrée universelle présente au cœur de toute vie. Celui qui fait cette découverte peut alors entreprendre un chemin de perfection qui lui permettra de décider de sa vie personnelle et de son rapport au monde. L’énergie cosmique, la vibration, la lumière, Dieu, l’amour, tout peut être ramené à une seule et même réalité, l’énergie primordiale, sacrée. Cette vision des choses est un panthéisme implicite, une absorption du moi humain dans le moi divin.

Si on creuse un peu plus, on découvre qu’il y a, à l’arrière, une approche holistique de la santé qui considère le corps et l’âme comme un tout. L’holisme, en effet, est une doctrine qui considère les phénomènes comme des totalités. Ce mot a été forgé [en 1926, sur le grec holos (entier)] par un biologiste sud-africain. Il a donc une origine scientifique. L’holisme trouve une application au niveau médical. On reproche à la médecine classique de chercher à soigner des symptômes particuliers, sans avoir un regard d’ensemble sur la personne; on lui reproche de soigner et non pas de guérir: elle n’aide pas à retrouver l’état naturel de bien-être, l’harmonie avec la nature. Dans cette vision holistique, la maladie et la souffrance sont regardées comme la conséquence d’un comportement contre nature. Et c’est l’Union du corps et de l’Ame, leur harmonie, qui permet retrouver l’état naturel de bien-être.

Quand on est en harmonie avec la nature, on peut s’attendre à avoir une meilleure santé, et même la prospérité matérielle. La santé est un état de bien-être complet; avoir une bonne santé est synonyme d’avoir une vie épanouie. Nous sommes là dans un monde en quête de bien être, de développement personnel. Pour parvenir à cette vie épanouie, l’harmonie de l’âme et du corps est primordiale, il faut donc guérir l’esprit.

On peut alors comprendre ce qui est contenu dans l’expression «guérison spirituelle»: c’est une guérison par l’esprit, sans recours à aucun moyen matériel. Cela concerne la guérison de n’importe quel problème selon une approche purement spirituelle; l’âme joue un rôle déterminant pour guérir des maux de tous ordres.

La guérison intérieure va faire intervenir l’énergie spirituelle pour guérir les blessures qui nous font mal et nous empêche d’être heureux. C’est la puissance de l’Amour, la Force de vie universelle guérit. L’Amour nous révèle nos blessures et nous aide à les guérir. L’Amour est une libération.

Cette guérison intérieure par le rétablissement de l’harmonie avec l’énergie universelle est une autoguérison, mais elle peut se faire par l’intermédiaire de médiums — intermédiaires entre le monde des vivants et le monde des esprits. L’énergie qui guérit, l’énergie universelle, est appelée Dieu par certains d’entre eux: c’est Dieu qui guérit. Cette énergie de guérison, pour le bien, est accessible à tous à chaque instant. Si le Christ guérissait, dit-on, c’est parce qu’il utilisait cette énergie dans son ministère.

La guérison spirituelle touche toutes les dimensions de l’individu aussi bien l’âme que le corps. Du spirituel est proposé, indépendamment d’une religion déterminée, un spirituel qui pourra s’intégrer à toutes les religions: c’est une religion mondialiste qui se profile, véhiculée par le Nouvel Age. Voilà la cause du succès.

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Apport de la psychologie transpersonnelle

Le mélange du psychologique et du spirituel est ce qui frappe le plus dans la guérison intérieure. Pour en saisir l’origine, il faut encore se reporter au Nouvel Age qui accorde une grande place à la psychologie transpersonnelle; celle-ci ajoute à la psychologie sa spécificité psycho-spirituelle: elle s’intéresse surtout aux états modifiés de conscience. C’est une approche holistique qui intègre les quatre dimensions de l’être humain, physique, émotive, mentale et spirituelle, pour accéder à l’harmonie.

Nous sommes toujours dans le cadre spirituel dont nous venons de parler, le cadre de la recherche du «Dieu intérieur» en soi. L’homme doit transcender son ego pour devenir le Dieu qu’il est au fond de lui-même. Il y a dans l’homme un moi supérieur qui est regardé comme sa véritable identité. Et les hommes sont reliés à l’unité du Tout. Ils sont vus, essentiellement, comme des êtres divins, bien qu’ils participent de cette divinité cosmique à des niveaux de conscience différents. Nous sommes co-créateurs et nous créons notre propre réalité.

C’est donc bien ce moi supérieur qu’il s’agit de rejoindre par un voyage intérieur, mais avec l’aide de techniques: la psychologie transpersonnelle se veut un alliage de science et de mystiquesans dogme. Des thérapies, plus exactement des psychothérapies, sont proposées pour faire ce voyage qui nous permet de découvrir notre place exacte dans l’unité du cosmos, de restaurer ce qui en nous est aliéné ou supprimé, d’élargir la conscience, de réaliser des expériences «ultimes» ou «mystiques», de fusion avec Dieu et avec le cosmos. Le salut, dans ce cadre, est la reconnaissance de la conscience universelle, qu’on peut aussi appeler Dieu — qui n’est pas un Dieu personnel. Dieu est en tout et notre esprit est une partie de Dieu. Point n’est besoin de Révélation ou de Salut venu de l’extérieur: il suffit de faire l’expérience du salut présent au fond de soi-même (auto-rédemption), grâce à la maîtrise des techniques psychophysiques menant à l’illumination définitive. Il n’y a pas de péché: il n’y a qu’une connaissance imparfaite.

Des thérapies vont être proposées pour faire ce voyage intérieur et parvenir à des état de conscience élargis [qui offrent la possibilité d’aller voyager dans les différents plans de la psyché, de l’archaïque au spirituel].  La psychologie transpersonnelle s’intéresse à ce qui s’est passé autour de la naissance et à ses conséquences sur le développement futur de cette personne. Elle inclut aussi la possibilité de vies antérieures, les liens subtils qui unissent une personne à d’autres êtres, à la nature elle-même.

La psychologie transpersonnelle cherche à développer le potentiel de l’homme par un parcours d’auto-rédemption. Elle est une connaissance immédiate, claire et directe de la vérité, en dehors de la raison et propose des préparations à une expérience d’illumination: la méditation, le bien-être corporel, l’émanation d’énergies d’auto-guérison, les expériences parapsychologiques, le recours aux drogues hallucinogènes.

La psychologie transpersonnelle a un point d’application dans le domaine médical où une spécialisation à outrance risque de faire oublier qu’un patient ne peut pas se découper en secteurs indépendants les uns des autres: d’un côté la dimension spirituelle et de l’autre la dimension psychique.

Dans cette perspective la spiritualité est très intéressante: elle représente un potentiel thérapeutique sans fond; et parallèlement, ce qui sert à la guérison ou tout au moins à l’amélioration du psychisme sera utilisé pour guérir le spirituel, ou tout au moins grandir dans la vie spirituelle. On va recourir à des techniques diverses: l’ennéagramme, la psychogénéalogie, l’hypnose ericksonienne — permet d’accéder, aux ressources de son inconscient —, à la PNL — amélioration du comportement —, le processus de renaissance — technique respiratoire censée permettre au patient de revivre les événements traumatisants de sa venue au monde et de pouvoir enfin les dépasser. On peut aussi faire appel à des séances de guérison de tout genre.

C’est cette problématique que des catholiques ont plus ou moins essayé d’acclimater en proposant des guérisons intérieures. La psychologie transpersonnelle pourrait bien être de nature prométhéenne, à la recherche d’une sur-humanité : nous ne devons pas oublier que nous sommes des êtres humains, donc des êtres limités. Certains, comme A. Grün, prônent même une libération de notre finitude. Mais comment peut-on envisager une guérison de nos limites humaines? Encore une fois, tout cela révèle une aspiration profonde à une vie plus pleine et plus saine pour les hommes et pour la planète.

La psychospiritualité, contrairement à la guérison spirituelle, ne plonge donc pas seulement ses racines dans les religions ancestrales, particulièrement orientales, mais aussi dans les sciences humaines.

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Le Canada, matrice de la psychospiritualité catholique

Les évêques canadiens déclaraient en 2003, pour le trente-cinquième anniversaire du Renouveau Charismatique: «Un trait saillant du Renouveau charismatique est son ministère de guérison». On en était encore à un regard global sur la guérison, il n’est pas question de la guérison intérieure de façon spéciale. D’emblée était affirmé l’existence d’un ministère de guérison. Mais ce ministère vient des milieux protestants et plus particulièrement évangélistes. Que signifie pour un catholique, un ministère de guérison???

La lettre des évêques canadiens continue: «Tout comme Jésus lui-même, le Renouveau charismatique comprend d’abord son ministère de guérison comme un moyen d’enlever les obstacles qui empêchent quelqu’un de prendre conscience de la présence de Dieu, une façon de susciter une réponse plus pure, plus vraie à l’amour de Dieu. De ce point de vue, la guérison n’est pas perçue comme un moyen en soi, mais comme une façon de rendre gloire au Père, au nom de Jésus-Christ, par le pouvoir de guérison de l’Esprit.» Le ministère de guérison semble ici prendre la place des sacrements de guérison de l’Eglise catholique.

Les évêques canadiens disent encore que c’est dans le Renouveau charismatique que s’est noué un lien entre évangélisation et ministère de guérison: «Très tôt, le Renouveau a compris que ce ministère [de guérison] faisait partie intégrale du ministère de Jésus et que ce dernier a donné ce pouvoir à ses disciples également.»

Le Renouveau charismatique, comme nous venons de le voir, parlait de guérison en général. Il véhiculait une expérience: le Saint-Esprit peut guérir les corps et jusqu’au plus intime de l’âme humaine. Fort de cette expérience, des chrétiens ont voulu approfondir cette guérison de l’âme. Dès 1980, deux centres canadiens – toujours le Canada en première ligne – ont joué un rôle considérable: il s’agit du Cénacle de Cacouna et du Centre de prière l’Alliance. Trente ans après, des gens y viennent du monde entier et le Renouveau charismatique français comme nombre de communautés nouvelles ont puisé là leur inspiration en matière de guérison intérieure.

Le Cénacle de Cacouna est le berceau de l’Agapèthérapie ou «guérison par l’amour de Dieu». On y retrouve la perspective de la psychologie transpersonnelle. Une démarche d’aide est proposée aux personnes en souffrance, aux personnes blessées, quelle que soit leur croyance. On leur propose de guérir par l’amour de Dieu avec l’aide d’un thérapeute mais aussi en recevant des enseignements. Le retraitant est ainsi conduit à revisiter toute sa vie, jusque dans le sein maternel; cette démarche permet l’identification des blessures qui peuvent ainsi être mises sous le regard de Dieu. Le Christ intervient alors dans la vie, il touche les racines des blessures. Quel est le but poursuivi? «Nous libérer des conséquences des traumatismes du passé et nous faire entrer dans une croissance spirituelle en Dieu». On retrouve la trame de la guérison spirituelle et de la psychospiritualité.

L’autre centre est le Centre spirituel l’Alliance de Trois-Rivières. Des sessions de christothérapie, ou guérison intérieure, y sont proposées. La démarche est la même qu’à Cacouna avec quelques particularités. Ici il n’est pas question de thérapeute et la démarche est appelée un pèlerinage intérieur. Le Christ est lui-même le thérapeute. Bien sûr, il est le thérapeute le meilleur, gratuit et le plus rapide! Comme à Cacouna, les sessions sont ouvertes à tous, catholiques ou non.

A ces deux centres, il faut ajouter une figure de proue du Renouveau Charismatique canadien: Henri Lemay. Pour comprendre son influence en matière de guérison, il faut remonter en 2000. A cette date, en effet, la Congrégation pour la Doctrine de la Foi publiait une Instruction sur les prières pour obtenir de Dieu la guérison et l’année suivante, en 2001, un colloque a été organisé à Rome sur la prière de guérison, par le Conseil pontifical pour les laïcs et l’ICCRS — «Services pour le Renouveau Charismatique Catholique International». Cet organisme a été reconnu par le Conseil Pontifical pour les Laïcs le 14 septembre 1993.

La ligne directrice de ce colloque est celle que l’on trouve dans la lettre des évêques canadiens parue en 2003. Le charisme de guérison est regardé comme étant un instrument de la nouvelle évangélisation et il est demandé que l’apport du Renouveau charismatique sur la guérison et la délivrance, soit enrichi par ce que les autres confessions chrétiennes en disent. On ne parle pas de ministère de guérison, mais on invite à puiser dans les traditions évangélistes et pentecôtistes qui, elles, utilisent ce terme. Henry Lemay a été chargé de faire ce travail.

Henri Lemay a ainsi mis en place des sessions de formation à la guérison au Québec et dans divers pays. Le Centre de Trois-Rivières sert de relais de transmission, en particulier en France. Tous les membres des groupes du Renouveau Charismatique français sont invités à participer à des sessions soit du 18 au 23 septembre 2012 à Lyon, soit du 3 au 7 novembre 2012 à Lille. Ce sont des «Session de formation à la guérison, Approche spirituelle (premier niveau)». Henry Lemay propose lui-même au Canada des sessions sur diverses facettes de la guérison: Guérison intérieure; Guérison physique, émotive et délivrance; Guérison de la sexualité, occultisme, spiritisme; Guérison de l’esprit humain et évangélisation; Guérison par les charismes et les sacrements.

C’est donc au Canada que, par le biais du Renouveau charismatique, s’est mise en place une religion mondialiste, issue du Nouvel Age et située dans la mouvance évangélique. L’enseignement des évangéliques sur la guérison a été intégré à la psycho-spiritualité et l’amalgame déferle à un rythme accéléré sur l’Europe.

Quelle appréciation porter sur ce bouillon de culture canadien? Le regard d’un rédemptoriste, lui-même canadien, permet d’en situer le contexte: «Je trouve, dit-il, que le plus thérapeutique, c’est le recours aux forces spirituelles afin de rendre les gens davantage actifs dans leur processus de guérison à tous les niveaux de leur personne. Dans un contexte où les méthodes holistiques sont à la mode, le danger de dérive existe; le fait de tenir compte de l’expérience de multiples communautés chrétiennes sur une longue période de temps soumise au discernement de l’Église catholique peut en rassurer plus d’un.»

Le but recherché est clair: c’est une thérapie sur une base holistique. Il faut aider les baptisés «à avoir un esprit sain dans un corps sain» et on ne pourrait trouver mieux que le recours à l’Esprit Saint regardé comme «le Super agent de l’Évangélisation envoyé par le ressuscité».

Sur le site francophone des cellules paroissiales d’évangélisation, on trouve une rubrique «Evangélisation et guérison», mais aussi le P. Mario Saint-Pierre, canadien considéré comme un spécialiste de la Nouvelle évangélisation. Ce prêtre publie des livres sur ce sujet aux Editions Néhémie, qui sont spécialisées dans la Nouvelle Evangélisation: elles ont un projet éditorial sur la questions qui comporte plusieurs volets: le quatrième concerne la guérison intérieure.

La nouvelle évangélisation, en France, est donc reliée à ce qui s’élabore au Canada: elle va donc de pair avec la guérison intérieure.

Des acteurs reconnus de la nouvelle évangélisation, Alex et Maud Prévost disent de leur côté que c’est bien la guérison qui est en cause lorsque l’on parle de «nouvelle» évangélisation: «L’évangélisation ˮnouvelle dans son expressionˮ dont parle Jean-Paul II doit donc être accompagnée, comme dans l’Evangile et les Actes des Apôtres, par la manifestation de la puissance de Dieu ˮici et maintenantˮ, et donc par ˮdes signes et des prodigesˮ que l’Esprit Saint veut répandre à profusion. En cela, rien d’exceptionnel : ce n’est que répondre au commandement du Christ ˮAllez, prêchez, et dites ‘Le royaume des cieux est proche’. Guérissez les malades, ressuscitez les morts, purifiez les lépreuxˮ (Mt 10,7).»

Ce point de vue est partagé par les évangélistes. Pour le pasteur Carlos Payan, «L’Eglise doit apporter la guérison». Il dit encore: «Plaise à Dieu de confirmer Sa Parole par le salut, la guérison et la délivrance dans les vies données au Christ.» Pour lui, il faut «comprendre qu’évangéliser, c’est guérir le pays». Non seulement la guérison est un pilier de l’évangélisation, mais l’évangélisation est une guérison!

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 «Est-il du rôle de l’Eglise de réaliser des psychothérapies ?» sous couvert de guérison intérieure?

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