Lettre sous emprise

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Nous remercions cette jeune femme, ex-communautaire, qui nous livre bien simplement cette lettre bouleversante, avec ses mots à elle, pour aider les parents qui subissent ce qu’elle a fait subir aux siens alors qu’elle était sous  cette emprise redoutable …

 

 

Introduction :

           

            Cette lettre que vous allez lire, a été écrite après mon départ de la communauté des Béatitudes, je n’avais à l’époque pas encore pris conscience des dérives que j’y avais vécues et n’avais fait aucun travail sur moi-même. J’en situe l’écriture été 2003. A Pâques de cette même année nous étions retournés en famille à  la communauté des Béatitudes de château Saint Luc, fêter la résurrection du Christ. Les liens étaient toujours forts et la doctrine présente à mon esprit.

Je n’ai jamais envoyé cette lettre, (heureusement pour mes parents et moi !) mais j’ai conservé le brouillon longtemps après mon départ pour bien y réfléchir, et longtemps après comme souvenir de cette période, voilà pour le contexte.

           

J’espère que la lecture de cette lettre éclairera les parents qui comme les miens, ont vu ou voient leurs enfants sous emprise et en souffrent. Qu’ils comprennent mieux ce qui est d’ailleurs assez incompréhensible, car leur enfant n’est plus vraiment lui même. Que ce qu’ils entendent ou lisent n’est que le reflet d’une souffrance, la souffrance d’être en décalage avec soi-même, d’être dans les mailles d’un filet qui nous ronge, mais que pourtant on persiste à garder. Ce filet qui nous lie, qui nous détruit de l’intérieur, sert à faire de nous des choses, des pantins désarticulés que l’on peut ainsi manipuler à souhait.

           

Cette lettre qui contient beaucoup de critiques est très virulente, il faut savoir qu’aujourd’hui je les désapprouve, car elles sont injustes dans la forme et le fond, J’avoue avoir eu honte à certains moments de ce que qu’elle contient car vraiment je suis horrible. Mais c’est bien moi qui ai écris et pensé cela, sous influence, en me sentant surtout très supérieure, et en souffrant aussi. Cette influence devait trouver une justification, ce sera celle du « bouc émissaire » qu’étaient  devenus mes parents.

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  Lettre à mes parents été 2003.

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            « papa, maman,

 

             Cela fait un moment que j’espérais que mon attitude vous aurait fait me poser cette question, qui m’aurait permis de vous dire bien des choses. Mais le : « Mais qu’est-ce que tu as ? » ; n’étant jamais venu, je prends la plume pour essayer de vous dire le malaise qui nous ronge P. et moi.

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            Plusieurs fois nous avons essayé de vous dire des choses, j’ai essayé d’expliquer certaines choses notamment à propos de Noël. Mais visiblement vous aviez toujours de bonnes raisons, bien valables à opposer à ce que je pouvais dire, qui bien sûr n’est qu’un ressenti, mais quel ressenti !

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Je crois que tout simplement nous n’arrivons plus à vous supporter.

Je m’explique : l’hypocrisie semble telle entre nous que du moment que l’on ne s’est « pas engueulé »  dixit papa au téléphone à propos de Noël tout va bien…

Et bien je crois que l’on aurait peut-être intérêt à « s’engueuler » si par la suite le dialogue pouvait se renouer entre nous.

Ce malaise remonte à longtemps, il agit comme un poison qui s’immisce partout tant qu’il n’est pas mis à jour. Ne nous avez-vous jamais écouté en parler de ce malaise ? Le plus horrible souvenir de notre vie commune.

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            Et puis il y a eu la communauté et les « qu’est-ce que c’est triste ici », « chez nous au verbe de vie c’est plus gai », d’abord vous n’avez jamais été communautaires, être proche ne veut pas dire que l’on sait ce que cela veux dire d’y vivre à 100% dedans. Et oui nous avons du mal à vous pardonner !

Le reconnaître c’est au moins être sincère avec les autres et avec soi-même. Et chercher à tout prix à arrondir les angles et à gommer ce qui peut déranger, n’aide pas les relations, puisque la preuve, si j’en arrive aujourd’hui à vous écrire, c’est que j’en ai marre de vouloir « faire semblant » que tout va bien pour qu’après avoir dit ce qui allait mal, on puisse (enfin!) aller mieux.

La grande difficulté avec vous, c’est que vous croyez tellement ce que vous pensez, qu’il faut croire que vous arrivez à ne plus voir le décalage qu’il y a entre ce que vous dites et ce que vous faites. « Dans le couple c’est le mari le berger », mais regardez-vous donc ! Papa est devenu un petit chien qui fait tout ce que maman lui demande, à croire que toi maman tu es incapable de faire la moindre chose seule, de t’organiser un peu. Jamais nulle part ailleurs que chez moi j’ai vu la maîtresse de maison aussi dépendante d’une aide quelconque.

Papa, à force de croire que tu te  »fous » de tout, tu as fini par le penser vraiment et par ne pas voir les désirs qui pouvaient t’habiter et que tu as tellement enfouis en toi…

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            J’ai été une ado facile, parce que facilement manipulable. Votre discours était si bien construit qu’on ne pouvait qu’y adhérer et puis je n’avais pas le jugement assez critique pour me rendre compte du décalage entre les paroles lénifiantes et les actes imparfaits, mais humains. Il aurait été si simple d’être vrai, plutôt que de se dire la perfection à atteindre, de croire y être plus ou moins et d’oublier finalement que ce que l’on est, est mieux que ce que l’on croit être.

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            De toute façon personne ne pouvait vous contester puisque des amis vous n’en avez pratiquement jamais eu et si quelquefois on en avait, ils vous adulaient tellement que l’on ne pouvait que les croire et les autres, ceux qui finissaient peut-être par vous critiquer, devenaient les plus nuls et les plus atroces des gens. Et puis le « On a fait du mieux que l’on pouvait » ne vous empêche pas de voir ce que réellement vous auriez pu faire de mieux.

Mais se remettre en question est trop douloureux…

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            Pourtant c’est dur pour tout le monde, mais accepter d’avoir mal fait ou de n’avoir pas fait tout ce que l’on pouvait réellement faire, n’est pas le signe d’être inférieur, mais au contraire cela aide à avancer.

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            Noël vous ne l’aviez pas préparé et ce n’est pas parce que l’on vous avait demandé de faire les menus et les courses (ce qui est la moindre des choses quand on reçoit) que cela vous dispensait de la nécessaire implication de votre personne pendant le séjour. Nous avions déjà fort à faire avec mes enfants, nous avions aussi envie de nous reposez, de nous retrouver parce que l’on se voit pas souvent et puis quand nous sommes invités et que l’on invite même dans la famille la maîtresse de maison s’implique totalement et se débrouille pour se reposer plus tard. Recevoir « à la bonne franquette » c’est un art que l’on peut pratiquer quand on se voit souvent.

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            Voilà je crois que c’est le plus gros de ce que j’avais à dire, cela mériterait plus d’explications, voir d’autres prolongations mais l’essentiel est dit.

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            Vous fonctionnez comme cela vous chante, oubliant vos frustrations qui se voient de toute façon, mais ne nous faites plus croire que vous êtes ce que vous n’êtes pas et avec « engueulade » ou pas essayez d’avancer vers un peu plus de vérité.

J’allais oublier le repas et les frais de nourriture quand on vient vous aider à nettoyer la toiture sur nos vacances… Si vous manquez d’argent vous avez encore largement l’âge de trouver une activité correctement  rémunérée et l’un et l’autre. Mais peut-être pour cela faudra-t-il renoncer à parader en tant qu’âme généreuse auprès de gens d’Église qui de toute façon s’en fiche éperdument.

 

Sur ce, votre fille qui veut vous aimer

mais qui pour le moment

essaye juste de vous respecter.

 


 

         Commentaire de mon père, aujourd’hui :

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« En relisant cette lettre j’essaie de me remémorer le souci primordial  que j’avais : c’était de protéger ma femme. Le risque de rupture était grand. Je me souviens avoir réfléchis à comment mettre une distance pour que cette souffrance qui nous était en quelque sorte  »crachée au visage » ne démolisse pas mon épouse. J’ignore vraiment qu’elle aurait pu être mon attitude en recevant cette lettre, le risque était d’entrer dans le jeu des manipulateurs qui ne cherchent qu’à isoler leur proie.

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Quand ces manipulateurs se revendiquent d’église et que ceux qui sont chargés de discerner dans l’église laissent faire, cela pose vraiment un gros problème. (Cette remarque est à l’adresse de tous ceux qui exercent la fonction  »d’ordinaire ») »

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Mon commentaire aujourd’hui :

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Ce qui est très marquant pour moi en relisant cette lettre c’est de constater combien elle est auto-centrée,  mon ego semble assez disproportionné : il faut que mes parents devinent mes intentions, qu’ils ne soient pas d’une certaine manière, qu’ils fassent autrement… Avec des affirmations bien péremptoires et de la psychologie à la petite semaine. Pour qui je me prends : je détiens la vérité !

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Et je peux le dire d’autant plus que c’est moi qui est écrit cela, et que j’en reconnais l’orgueil bien présent. Un orgueil généré par la pseudo compréhension du monde que me donnait le psycho-spirituel.

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Car en effet le psycho spirituel explique les choses simplement et de manière affirmée : c’est comme cela que Dieu voit les choses, comment je le sais : je l’ai reçu dans la prière !!! Voilà tout est expliqué limpide, il n’y a qu’a se conformer au modèle (inatteignable bien sûr, car nous sommes pécheurs, mais ce n’est pas grave, toujours plus de la même chose ça finira bien par marcher !

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Ce courrier est inique, méchant, d’une méchanceté gratuite pour des parents qui font ce qu’ils peuvent : comme tout le monde ! Et dire que dans la communauté on prêchait l’amour, comme Dieu nous aime… Quand je lis cela je ne retrouve pas d’amour, ni le moindre respect d’ailleurs, ou sont les beaux sentiments ?

« La vocation de la communauté n’est autre qu’un appel à être peuple de Dieu, aspirant à la vie trinitaire et, comme Thérèse choisissant tout, elle se situe au cœur de l’Église pour y être l’Amour » page 3 du livre de vie de la communauté des béatitudes.

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Sortir d’une communauté avec un tel programme, être toujours en lien avec elle et écrire des horreurs pareilles ? Ça pose question…

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Je sais que certains parents qui ont leur enfant pris dans un processus psycho-spirituel ont ou auront à subir des comportements aussi paradoxaux que d’avoir des paroles sur l’Amour et en même temps un déni de leur statut d’êtres respectables. Ce n’est ni surprenant ni extraordinaire, c’est la même dichotomie dans laquelle est plongée la personne, vivre des contradictions et trouver ça logique peut sembler absurde, pas dans le psycho-spirituel qui valide tout par « sous le regard de Dieu ».

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Que ne fait-on pas sous le regard de Dieu…

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Le ou la communautaire qui écrit est en permanence en train de réajuster ses sentiments et même ses émotions pour coller au modèle, la souffrance est énorme, cachée sous le beau vocable de « combat spirituel ».

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Parents écoutez bien ce que l’on vous dit à la communauté, les contradictions se voient un moment ou un autre, la souffrance aussi. Sachez résister aux mots blessants, car de toute façon vous aurez tort, quoi que vous fassiez !

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Il faut voir ce qui se cache derrière cette façade crasseuse et aider à faire jour aux paradoxes, syllogismes,  et même au sophisme : La vie communautaires est impossible telle qu’elle, mais rien n’est impossible à Dieu : la vie communautaires fonctionne donc elle vient de Dieu. Cela semble marcher au début, et puis après avec les rechutes, etc… Il faut persévérer dans la démarche : si ça ne marche pas c’est qu’on n’est pas assez convertis … Et on s’enfonce.

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Que la personne qui reçoit ce courrier ou ce coup de fil assassin se dise qu’elle n’est pas coupable, qu’elle a en face d’elle un pantin manipulé et qui souffre et que la souffrance peut faire devenir méchant. Car c’est ce qui est le plus fort dans ce système : il faut une façon de déverser sa souffrance quelque part.

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Je m’explique : le psycho-spirituel supposé comprendre ce qui nous entoure et y trouver un sens, devrait rendre la personne heureuse. Or pour rentrer dans le cadre, très vite des dissonances se font jour, dissonances qui entraînent une souffrance, souffrance que l’on doit extérioriser par l’appel au blessures et pour beaucoup celles « infligées » par nos parents.

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Un parent normal, devient donc un bourreau plus ou moins gentil !

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Donc il est nécessaire d’être patient, et de ne pas perdre, si possible,  le contact, même ténu. Parfois ce sera difficile, mais pour moi ça a vraiment marché. En revanche bien d’autres communautaires ont rompu tous liens avec leurs parents.  

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Pour plus d’informations voir

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http://www.ccmm.asso.fr/spip.php?article6504

http://www.ccmm.asso.fr/spip.php?article6613

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