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De la violence
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Quelle est la légitimité du philosophe à intervenir dans les questions de psycho-spiritualité qui font l’objet de ce site ? Rappelons d’abord que le philosophe s’intéresse à l’homme et s’interroge jusqu’à chercher et trouver une vérité sur la vie humaine, sur son sens, sur ses finalités. A priori, pour le philosophe, il y a de quoi être séduit par la rencontre de deux aspects très différents de l’intériorité humaine, d’une part, la psychologie enracinée dans les mécanismes de l’affectivité, de la mémoire et des passions et d’autre part, la spiritualité qui suppose la détermination d’un esprit libre vers une fin et selon des modes de vie et d’action librement choisis. Effectivement, la possibilité d’assumer les diverses tendances de la vie psychique de l’homme, donc celles de l’imagination et des passions, dans la perspective aimante de rejoindre un Etre qui nous attire (Dieu – le prochain) est légitime et relève de l’unité de la personne humaine. La recherche morale et mystique, active, d’une finalité découverte par l’intelligence et poursuivie librement implique toutes les dimensions de l’amour spirituel et de l’affectivité sensible et elle demande donc une unification de l’être humain au fur et à mesure de cette recherche. Envisagée sous cet angle, on ne peut qu’encourager la recherche d’unifier une certaine rectification de notre psychologie, notre activité morale, nos recherches intellectuelles et une vie spirituelle qui recherche et découvre ce qui détermine toute notre vie. Mais cette démarche que l’on retrouve dans toutes les spiritualités chrétiennes, qui sont autant de chemins avec et vers le Dieu de Jésus-Christ, et dans d’autres spiritualités non chrétiennes, n’est pas sans risque. Ce n’est pas un long fleuve tranquille et les paramètres de cette quête n’obéissent pas à un déterminisme mathématique ! En effet, vouloir assumer des éléments psychologiques de notre vie intime qui viennent du passé, qui créent des zones d’ombre et qui suscitent en nous toujours les mêmes faiblesses, les mêmes réactions entravant notre progrès dans l’amour, c’est bien, mais à condition que la machine ne se retourne pas contre nous à notre insu. Assumer des caractéristiques psychologiques, qui peuvent être le fruit d’une éducation, d’interactions sociales, voire de questions d’ordre médical, cela ne se fait pas tout seul et suppose une connaissance psychologique sans failles et qui ne relève pas du bricolage. Sinon, il y a danger.
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Le philosophe s’intéresse à cette improbable rencontre de la psychologie et de la spiritualité pour essayer de montrer comment chaque homme et chaque femme de bonne volonté peut triompher de l’égoïsme et des replis sur soi, des recherches de développement personnel sans véritable but, comment chaque personne humaine garde toujours la liberté fondamentale d’éviter de se laisser absorber par une psychologie centrée sur la recherche de soi et toujours un peu déviante (ce que le théologien n’a pas de mal à expliquer par le péché originel). Parce que le philosophe regarde l’homme dans sa dimension d’être de communauté, dans sa dimension morale, dans sa dimension religieuse, il est très attentif aux déviations que représentent les fausses synthèses de psychologie et de spiritualité, notamment dans les nouveaux mouvements évangéliques et charismatiques :
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− Comme personne appartenant à une communauté, l’être humain n’est pas seul au monde et vit naturellement des solidarités familiales, sociales, ecclésiales. La manipulation mentale, introduite notamment en France par l’Agapè, permet de couper d’abord la réflexion individuelle du cadre communautaire. L’individu, seul avec ses problèmes est invité à en découvrir la source dans le comportement supposé déviant des parents, des proches. Ce fait précis de détacher la réflexion sur sa propre vie de tout cadre familial ou social permet ensuite de détacher réellement l’individu (est-il alors encore une personne ?) de sa famille, de ses proches, voire de la société. La manipulation mentale a réussi, elle engendre des ruptures avec les proches et le cadre de vie, elle engendre donc une violence.
− Comme personne ayant une dimension morale, l’être humain a parfois du mal à découvrir ce pour quoi il est fait et à en vivre. Ici, la manipulation mentale, toujours centrée sur l’individu, va obscurcir l’exercice de la liberté ainsi que le vrai amour, la recherche du Bien (le Bien de l’autre, le Bien par excellence qui est Dieu). Plutôt que de se laisser détacher de lui-même par cette attraction du Bien dans un amour (l’amour humain n’excluant pas ici la quête d’absolu et réciproquement), l’individu manipulé va se laisser convaincre de se forger lui-même, d’auto-former sa personnalité spirituelle et finalement, de se lancer éperdument dans une quête de perfection. La perfection ayant remplacé le Bien, l’individu est plus malléable et réceptif aux critères qu’on lui impose pour ‘se développer’, ‘guérir’, se perfectionner. Car finalement, le Bien est à la fois objectif et réalité existante, la perfection est toujours un peu subjective. Il y a là aussi une violence venant des manipulateurs et qui s’étend à travers les disciples, violence imposée aux individus et à leurs proches, qui consiste à absolutiser des moyens comme le développement personnel, la guérison, etc.
− Comme personne douée d’une dimension religieuse, particulièrement dans le monde d’aujourd’hui, l’être humain ne sait pas toujours où il en est dans la manière d’ordonner toute sa vie à ce qu’il recherche (pour les chrétiens, le Dieu de Jésus-Christ) ; il peut donc, même en croyant puiser dans la tradition de sagesse religieuse ou même mystique de sa propre foi, mettre les choses à l’envers et ériger un élément d’une religion en faux absolu. C’est malheureusement souvent le cas dans le renouveau charismatique catholique où le commandement de Dieu demandant d’honorer ses parents disparaît au profit d’un ingénieux égocentrisme, où le ‘charisme’ de guérison devient un faux absolu qui oriente tout le reste, où les éléments clés de la vie chrétienne comme l’adoration, la prière, la charité fraternelle, les sacrements, sont relativisés ou transformés : l’adoration du Dieu unique et créateur, transcendant, se transforme en louange supposée correspondre à une énergie, à une motion de l’Esprit ; la prière elle-même n’est valable que ‘dans l’Esprit’, sa pratique suppose parfois des sortes de transes, des comportements et attitudes tout à fait irrationnelles (c’est presque une obligation chez les charismatiques les plus intransigeants) ; la charité fraternelle disparaît au profit d’une relation fusionnelle et de communion entre membre d’une même communauté ou d’un même groupe ; les sacrements sont complètement relativisés à un nouveau sacrement : le baptême dans l’Esprit. L’inacceptable est ici consommé : la violence la plus évidente est alors une violence faite à l’ordre, à la tradition, à la saine intelligence de la Révélation. Changer volontairement une religion en forçant les autres à se conformer à une nouvelle religion est sans doute l’une des pires violences qui puisse exister dans l’humanité. C’est pourtant ce que font nombre de charismatiques et d’adeptes du ‘psycho-spirituel’, ces gens-là ont la prétention de supprimer de la religion chrétienne l’ordre, la tradition, la saine intelligence de la Révélation.
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Maintenant que nous avons identifié les dérives du psycho-spirituel des catholiques charismatique et des protestants évangéliques et que nous les avons enracinées dans les dimensions de la personne humaine, interrogeons-nous sur la violence que tout cela suscite. Dans chacune des dimensions humaines que nous venons d’évoquer, nous avons montré comment la manipulation mentale faite par les gourous du renouveau charismatique catholique, aboutit à une forme de violence et de subversion de l’ordre moral, social, religieux. A-t-on le même phénomène dans des dérives sectaires d’autres religions, par exemple dans l’islamisme ? Ici, on peut facilement répondre par l’affirmative, mais à condition de considérer que l’origine de la manipulation mentale n’est pas dans la recherche d’un mieux-être psychologique, ‘guérir’ de ses ‘blessures’, etc. mais qu’elle se trouve dans une recherche de lecture et d’application fondamentaliste du texte révélé de l’Islam, le Coran. Le nœud du problème est ici l’obligation du djihâd faite à tout croyant et la question délicate de son interprétation. Nous n’entrerons pas dans ce problème, mais on voit bien comment la manipulation mentale peut réussir ici sur des esprits simples et peu formés, les convaincre de l’obligation de combattre les infidèles par tous les moyens (violents, bien sûr) et des récompenses qui attendent les guerriers d’Allah. Malheureusement, on connaît la suite dans nos pays meurtris par une succession d’attentats.
Les mécanismes décrits précédemment en ce qui concerne le christianisme sont-ils les mêmes ? Oui. La violence est-elle la même ? Oui, même si cela ne passe pas par les mêmes formes, les nouveaux chrétiens des mouvements charismatiques ne posent pas de bombes, mais la violence faite aux familles et à la société, à l’autonomie morale des personnes, à la communauté croyante est la même. Précisons : dans le cadre des attentats commis par Daèch, du fait de la manipulation mentale, on retrouve tous les mécanismes et la violence décrits précédemment, à savoir :
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− Quand un jeune homme musulman rencontre un imam acquis aux thèses de l’Islam intégriste, ce dernier va d’abord chercher à faire ‘réfléchir’ ce jeune mais en coupant la réflexion individuelle du lien avec les autres, ceux qu’il côtoie habituellement, sa famille, ses amis. En même temps, ce jeune va créer de nouveaux liens avec d’autres jeunes acquis à la même cause. Il passe d’une communauté naturelle, sa famille, à un groupe créé artificiellement par des manipulateurs et pour les besoins de la cause. A la différence de ce qui se passe dans le psycho-spirituel catholique, l’individu n’est pas renvoyé à une dimension psychologique dont le malaise serait imputable aux parents ; par contre, s’il ne s’est pas comporté jusque-là comme un ‘croyant’ véritable, c’est bien sûr à cause du comportement supposé déviant des parents, des proches, du milieu de travail ou d’éducation, etc. On a alors le même détachement de l’individu vis-à-vis de sa famille, de ses proches, voire de la société. La manipulation mentale engendrant des ruptures et donc une violence est la même.
− Les jeunes qui sont victimes de la propagande d’Al Qaïda ou de Daèch, sont des jeunes souvent en perte de repères, n’ayant pas découvert qui ils sont et ce pour quoi ils sont faits. Comme précédemment, la manipulation mentale va les centrer sur eux-mêmes dans un rapport fanatisé à une dimension religieuse qui les dépasse. On retrouve le même oubli de l’amour et du Bien, l’individu manipulé se laisse convaincre, non pas tant ici de forger sa personnalité psychologique et spirituelle, ce n’est pas vraiment le problème, mais d’adhérer à un modèle qui est aussi présenté comme une perfection : être un combattant d’Allah. On va retrouver les mêmes conséquences : la perfection ayant remplacé le Bien, l’individu est malléable et accepte les critères de vie et de mission qu’on lui impose. Il est évident dans l’ensemble des attentats commandités par l’Etat islamique que la violence vient des manipulateurs et s’étend à travers les disciples, elle est imposée aux individus et à leurs proches, à la société ; ici c’est le martyre du combattant d’Allah qui est faussement présenté comme un absolu dans le combat contre les infidèles et dans l’allégeance à l’Islam.
− Comme nous l’avons montré précédemment, la manipulation joue sur l’oubli et la redécouverte d’une dimension religieuse : un jeune d’origine et de culture arabo-islamique, ne sachant pas toujours où il en est dans la manière de mettre en ordre sa vie et sa foi, risque toujours, notamment sous emprise mentale, de mettre les choses à l’envers et d’ériger un élément mal compris de l’Islam en faux absolu : c’est le cas avec le djihâd. Comme dans les autres déviances religieuses, les relations familiales disparaissent, l’ego du combattant d’Allah, futur martyr, est exalté, le martyr (et non plus ici la guérison) devient un faux absolu qui oriente tout le reste ; comme c’est aussi le cas dans le christianisme, les valeurs et les pratiques religieuses (ici, celles de l’Islam) sont relativisées ou transformées. On peut aussi affirmer ici (c’est visible avec les attentats!) que la violence la plus évidente est alors une violence faite à l’ordre, à la tradition religieuse, à la compréhension des textes sacrés, mais aussi à la civilisation. Même subversion religieuse, même volonté de forcer les autres à se conformer à une nouvelle religion ayant l’apparence et la prétention de l’authenticité, même conclusion que précédemment : c’est une des pires violences qui puisse exister dans l’humanité.
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Que conclure ? Les points de convergence entre la manipulation mentale dans les dérives sectaires des mouvements charismatiques et évangéliques et celle qui existe dans l’intégrisme islamique sont nombreux et importants : une réflexion repliée sur soi et coupée du lien avec les autres, la rupture des liens familiaux et sociaux, l’apparentement à un groupe de fidèle en quête de perfection religieuse, le rejet de la manière de vivre des proches et en particulier, des parents ; la subversion du sens religieux, la poursuite de faux absolus ; et, évidemment la violence. Il existe cependant des différences nettes : recherche de développement psychologique et spirituel, voire de guérison, chez les chrétiens charismatiques ; recherche d’un autre modèle qui est celui, très matérialisé, du combattant d’Allah, chez les intégristes islamiques. Il y a le martyre d’un côté, la guérison de l’autre, mais dans les deux cas, recherche de perfection. Il y a invention d’une religion chrétienne renouvelée d’un côté, volonté d’allégeance à l’Islam le plus radical d’un autre, mais dans les deux cas, subversion religieuse. Dernier élément commun, conséquence de ces relations en chaîne de la manipulation mentale aux actes, même extrêmes, commis par la victime de la manipulation (car ce sont aussi des victimes qui, entraînés, deviennent bourreaux) : la violence, bien sûr.
Nous avons conscience en concluant ce bref article, que les conséquences de cette analyse sont absolument redoutables : On peut utilement éclairer les agissements des ‘islamistes’ par l’analyse des déviances sectaires d’autres religions. Mais dans l’autre sens, cela fait froid dans le dos de penser que fondamentalement la violence déployée par les sectes ou par les mouvements et groupes chrétiens se situant aux marges de confessions chrétiennes traditionnelles (catholicisme, protestantisme) et la violence de l’islamisme est fondamentalement la même violence ; si ce n’est que dans le second cas, c’est une ‘guerre sainte’ qui est en jeu et que la violence y atteint son paroxysme dans le fait de tuer.
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